Paru dans le Monde ... lire la chute très drôle

Publié le par Sciences - Eco - St Paul

 

Greenspan, Reagan : la chute des idoles par Sylvain Cypel

Depuis vingt ans, l'Amérique de la politique et des affaires avait deux héros : Ronald Reagan, son président de 1981 à 1989, et Alan Greenspan, qui aura présidé la banque centrale plus de dix-huit ans, et ce jusqu'à 2006.

Le premier était considéré comme le rénovateur de l'économie américaine telle qu'elle avait émergé de l'époque rooseveltienne, après la Grande Dépression des années 1930. En déréglementant massivement, il avait inauguré une ère de prospérité pour les marchés financiers et de croissance longue inégalée, malgré les contrecoups momentanés. Le second apparaissait comme le grand ordonnateur de cette nouvelle économie. Leur idée était qu'il n'y avait pas de meilleur régulateur que les marchés et les entrepreneurs eux-mêmes, dès lors qu'ils sont les premiers intéressés à la bonne santé de l'économie.

"L'héritage terni de Greenspan"

Personne encore n'enterre M. Reagan, mais l'image pieuse de ce héros commence aussi à se craqueler. Tant que la crise est apparue circonscrite à l'immobilier, les candidats républicains à la Maison Blanche - Rudolf Giuliani, Mitt Romney, John McCain - ont continué d'invoquer en chaque occasion les mânes de l'ancien président - l'héritage de George Bush étant plus difficile à assumer. Mais avec le début de récession, la confiance de l'opinion dans l'économie tombée à son plus bas niveau historique (29,5 % en avril), le recul de la consommation et les pertes d'emplois, avec enfin deux millions de familles menacées de saisie de leur logement, M. Reagan a disparu des discours républicains.

Mieux : leur candidat, John McCain, dont les propositions budgétaires restent fondées sur des réductions d'impôts drastiques, dans la "ligne" républicaine, a changé son fusil d'épaule sur l'aide aux victimes des subprimes. Jusque-là, il ne jurait que par des allégements fiscaux accrus aux particuliers et aux entreprises pour "relancer la croissance" et il n'avait cessé de promouvoir la "non-intervention" de l'Etat dans les déboires des emprunteurs. Mais le 10 avril, il a appelé son gouvernement à intervenir directement pour soutenir les plus solvables d'entre eux en défaut de paiement. Ses adversaires démocrates, Hillary Clinton et Barack Obama, ont applaudi ce revirement, tout en stigmatisant la portée "insignifiante" du soutien financier de l'Etat qu'il propose.

L'essentiel n'est pas là : si même M. McCain en vient, du bout des lèvres, à prôner l'engagement de fonds publics pour conjurer la crise du crédit, c'est que quelque chose se meurt dans l'héritage reaganien. De fait, le reaganisme fait l'objet de multiples remises en cause. Sous le titre "La peur de réguler", l'éditorial du New York Times dénonçait, le 3 avril, la trop grande timidité des mesures prévues par le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, pour réglementer les marchés financiers afin d'éviter qu'une nouvelle frénésie spéculative entraîne toute l'économie dans la tourmente.

REVENIR À LA POLITIQUE DES GRANDS CHANTIERS

Un Bill Gates déplore l'état désolant de l'éducation publique et ses conséquences néfastes sur le nombre et le niveau des scientifiques et des techniciens américains. Les Etats-Unis, clame-t-il, sont en train de "perdre leur suprématie technologique". Education, mais aussi santé, communications... La situation d'infrastructures essentielles, jugée très inquiétante, fait l'objet d'un constat sévère et d'un regard neuf. Campagne électorale oblige, son expression la plus visible, du côté démocrate, consiste à proposer une accession facilitée à l'assurance médicale et une aide au financement des études supérieures pour les jeunes.

Mais de plus en plus d'économistes évoquent l'idée que la sortie de crise ne se fera pas sans recours à une régulation renforcée ni investissements massifs de l'Etat fédéral dans de grands chantiers : écoles, hôpitaux, transports. Certains patrons commencent à tenir le même discours. "Depuis sa dérégulation, en 1978, le transport aérien américain s'est gravement détérioré", juge Robert Crandall, PDG d'American Airlines de 1985 à 1998. Sans revenir à la "surréglementation du passé", il prône "l'intervention du gouvernement" pour sauver un secteur sinistré, car "la seule approche par le marché n'a pas pu et ne pourra pas produire le système dont nous avons besoin". Parmi les dossiers que l'Etat doit prendre en charge, il inclut la création d'un "réseau ferroviaire à grande vitesse" de proximité.

De fait, s'il est un secteur décrépit aux Etats-Unis, c'est celui des transports. Le trafic aux abords des grandes villes est congestionné, 800 ponts menacent de s'écrouler et le réseau routier est mal entretenu. Parallèlement, le transport aérien est plus dégradé que jamais et le réseau ferroviaire d'une vétusté antédiluvienne. "Nos trains ont été lancés au XIXe siècle, Roosevelt a construit des routes et Eisenhower des aéroports. Mais depuis Reagan, plus rien" : Loren Thompson, spécialiste de la défense et du transport aérien du Lexington Institute, porte un regard très critique sur les effets du désinvestissement public. Dans un système où l'entreprise privée, sous la pression d'actionnaires qui scrutent ses résultats trimestriels, n'a pas les moyens d'investir sur le long terme, les infrastructures ne peuvent que "péricliter" sans régulation et sans investissements de l'Etat, dit-il.

M. Thompson est un admirateur du réseau ferroviaire européen, en particulier du TGV. Quand on lui dit que le président français vante le "dynamisme" du modèle économique américain, il rétorque par une boutade : "Dans les soirées, il y a toujours des invités qui arrivent à la fin, quand les premiers venus commencent à partir."

http://lemonde.fr/examens/article/2008/04/30/greenspan-reagan-la-chute-des-idoles-par-sylvain-cypel_1040088_3404.html

, titrait The Wall Street Journal, le 8 avril. L'aura de l'ex-président de la Fed a commencé de décliner avec l'explosion, à l'été 2007, de la bulle du crédit hypothécaire. Dans la dernière livraison de Foreign Policy (avril 2008) sous le titre "Les folies de Greenspan", le président de la banque Morgan Stanley en Asie, Stephen Roach, plante ses clous dans le cercueil de "l'idéologie" qu'a représentée M. Greenspan. Celle-ci reposait sur trois piliers : le soutien jusqu'à l'extrême limite apporté aux marchés financiers, la conviction que "toute intrusion réglementaire ralentit l'économie" et la gestion d'une croissance fondée sur l'augmentation de la consommation des particuliers, soutenue par le recours grandissant à l'endettement. "Cette croissance, conclut-il,

était de plus en plus basée sur de la fumée."

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L
Article très intéressant. Bravo pour la personne qui l'a rédigé.
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